De 1900 à 1939
Extraits choisis de l’étude de Jean-Charles BONNET parue dans le Bulletin n°4 du Centre Pierre LEON en 1977. Travail basé principalement sur les recensements de 1901 à 1936 (et d’autres documents comme les dossiers de naturalisation, minutes des tribunaux, …)
1 – Evolution de la population globale et d’étrangers entre 1901 et 1936
Le tableau n°1 nous montre l’ancienneté relative de l’immigration à Saint-Pierre-la-Palud. A l’aube du XXe siècle il y a déjà près de 20 % d’étrangers dans cette commune, pourcentage considérable et bien supérieur à la moyenne nationale ou départementale. Et la brusque poussée des années 20 va dans le même sens que cette évolution mais elle en amplifie les effets: entre 1921 et 1931, le nombre d’étrangers à Saint-Pierre-la-Palud sextuple, déterminant une forte croissance de la population globale.
En fait, la progression est fulgurante entre 1926 et 1931 et une série d’enquêtes préfectorales conservées aux Archives Départementales du Rhône permet d’en marquer les étapes.
- mars 1926 > 216 étrangers
- janvier 1928 > 342 étrangers
- avril 1929 > 465 étrangers
- mars 1931 > 619 étrangers
N° 1 – Population de Saint-Pierre-la-Palud
2 – Fluidité du contingent étranger
En fait entre 1901 et 1936, 1256 individus différents ont été comptés étrangers dans une commune où, cependant, la population étrangère officiellement recensée n’a pas dépassé 600 personnes qu’en une seule pointe fugace et où le contingent étranger s’est situé, en moyenne, en-dessous de 300 personnes (278 exactement).
Il faut ajouter que cette source sous-estime l’ampleur réelle des allées et venues; tant il est vrai qu’entre deux recensements,des étrangers sont arrivés à Saint-Pierre et en sont repartis. Par exemple le dépouillement du registre paroissial nous a permis de repérer 33 petits baptisés qui étaient des enfants d’étrangers ne figurant sur aucune de nos fiches.
Nous pouvons dire, sans faire aucune extrapolation qu’au moins 1350 « étrangers légaux » ont habité à Saint-Pierre-la-Palud entre 1901 et 1936, Il faudrait y ajouter la vingtaine. d’enfants baptisés entre deux recensements et dont la famille ne figure plus au recensement qui suit son baptême.
Il faudrait aussi comptabiliser les naturalisations (56 sur la période) et les enfants issus de mariage mixte donc français.
3 – Répartition dans le village
Le tableau n°1 appelle de notre part une seconde remarque.
Elle concerne l’extraordinaire pourcentage de population étrangère à Saint-Pierre-la-Palud au beau temps de la « Prospérité » : plus de 40 % d’étrangers vivent dans la commune qui apparait bien ainsi comme la commune la plus « étrangère » des mines de Sain-Bel (à Sain-Bel même 160 étrangers seulement pour 1243 habitants en 1931).
C’est à Salnt-Pierre, en effet, que la Compagnie de Saint-Gobain, propriétaire des mines, avait élevé une cité ouvrière très semblable de ce qui se faisait alors et que G. Mauco décrivait avec un plaisir non dissimulé (petites maisons géminées avec jardinets).
En 1931, 491 étrangers (sur 619) habitent la Cité!!.
Au bourg même, en revanche, les immigrés sont très peu nombreux (21 seulement en 1931), mais traditionnellement deux « écarts » (Farge mais surtout Belichon) sont assez bien lestés de population étrangère.
N° 2 – Répartition des étrangers dans la commune.
4 – Saint-Pierre la Palud commune colonisée !
En résumé, face à ce très fort pourcentage d’immigrés, on s’étonne un peu que la commune de Saint-Pierre-la-Palud n’ait pas eu droit à une petite mention dans la thèse pourtant si érudite de Georges Mauco. Car notre « isolat industrialisé » appartient bien à cette catégorie des « communes colonisées » dont parlait alors Raymond Millet dans son livre: Trois millions d’étrangers en France en reprenant les termes d’une étude de Camille Rosier. Ce dernier rangeait d’ailleurs Saint-Pierre-la-Palud au premier rang des « communes colonisées » du Rhône; avant Givors, Saint-Fons, Vaulx-en-Velin et Vénissieux.
5 – Poids des nationalités
- Les Italiens :
Au départ les étrangers de Saint-Pierre-la-Palud sont presque exclusivement des Italiens. En 1911, par exemple, sur 142 étrangers, il y a 140 Italiens. C’est l’époque où les Italiens du Nord sont considérés comme les véritables Chinois de l’Occident, vivant de « polenta et d’eau claire ». Remarquons la fréquence de trois ou quatre lieux d’origine; Lessolo, Locana et surtout Lugnacco. Or les gens de Locana (Canavèse) émigraient de préférence vers La Mure, petite ville dauphinoise célèbre elle aussi par ses mines (d’anthracite); on voit les circuits possibles. Ajoutons que des liens de parenté unissent surtout ces Italiens entre eux. Après la Grande Guerre, les Italiens restent encore les plus nombreux(81 sur 93) mais deux vagues successives vont alors se manifester. - Les portugais :
Une vague portugaise entre 1921 et 1926, vague modérée (54 personnes en 1926) composée de quelques familles mais surtout de jeunes hommes tous natifs de Loulé (Portugal méridional: Algarve) ou de sa banlieue; mais cette vague portugaise reflue assez vite: en janvier 1928, d’après l’enquête préfectorale, les Portugais ne sont déjà plus que 37. - Les polonais :
Il est vrai qu’à la même époque déferle la grande vague polonaise : en avril 1929, alors qu’il ne reste plus que 53 Italiens (comptés comme tels) et 34 Portugais, Saint-Pierre-la-Palud accueille 325 Polonais. Fait hautement significatif dans les listes nominatives de 1931 on voit apparaitre deux religieuses et un instituteur polonais appelés à s’occuper d’une communauté qui dépasse alors 450 personnes, mais il n’y a pas de prêtre. A lire les lieux de naissance des enfants, lorsqu’il y en a, on a la certitude qu’une partie de ces nouveaux venus n’a pas été directement recrutée en Pologne par le truchement de la S.G.I., mais que beaucoup de Polonais sont d’abord passés par un autre centre minier avant.
6 – La pyramide des âges de cette population étrangère
Elle permet de dessiner fort clairement, pour 1931, le profil de cette immigration.
Nous avons alors une population « beaucoup plus masculine que féminine et étonnament jeune, donc une population fort représentative de toute immigration dans sa phase ascendante. On note ainsi la présence de 390 hommes pour 229 femmes (35 % de femmes) et de 557 individus âgés de moins de quarante ans sur un total de 619 (près de 90 %). Chez les hommes, la tranche d’âge la plus nombreuse (86 individus) est celle des 25 à 29 ans et chez les femmes celle de 0 à 4 ans.
Au total, les hommes de 20 à 39 ans représentent à eux seuls plus de 40 % des immigrés : la population étrangère de Saint-Pierre est donc une population de jeunes travailleurs, venus dans la force de l’âge pour extraire les pyrites de cuivre dont l’industrie chimique lyonnaise avait alors le plus grand besoin.
De cette jeunesse nous pouvons d’ailleurs donner un autre exemple emprunté cette fois au recensement de 1926 : alors que l’ensemble des étrangers ne représentait à cette date que 17,4 % de la population totale de la commune, les étrangers comptaient pour plus de 35 % dans la catégorie des habitants âgés de 20 à 39 ans; en revanche, parmi les 126 recensés de 60 ans et plus il n’y avait que 9 immigrés.